Les Tableaux tirés de l'Iliade
LIVRE I - TABLEAU I
Voici les paroles d'Homère, selon la traduction de Mme Dacier, que je suivrai dans le cours de ces Extraits.
"Déesse, chantez la colère d'Achille, fils de Pelée ; cette colère pernicieuse qui causa tant de maux aux Grecs, et qui précipita dans le sombre royaume de Pluton les ames généreuses de tant de héros, et livra leurs corps aux chiens et aux vautours".
Je sais qu'il faut de puissantes raisons pour engager les artistes à traiter l'allégorie, et que rien n'est plus ingrat ni plus dangereux par l'obscurité des figures, ou des actions dont les vérités, souvent trop voilées, ne peuvent ni être senties ni comprises. En effet, les emblèmes sont rarement établis sur des conventions générales : il est vrai que la fable en a consacré quelques-uns que toutes les nations ont adopté, et que sous le nom des Dieux elle a présenté les grands mouvements du cúur, et les plus violents ressorts qui font agir les hommes ; mais les sentiments déliés et les passions légères, sont presque toujours arbitraires. Quel trouble, quel embarras se présente à l'esprit, quand un artiste a réuni plusieurs figures de ce genre dans la même composition ! L'allégorie dont il s'agit, digne de son auteur, est grande, et n'est point dépourvue d'actions, et par conséquent de tableaux appuyés sur la nature. Je sais que les Anciens, qui sont nos maîtres en tout, ont fait usage de l'allégorie ; mais je suis persuadé qu'ils l'ont employée avec sobriété ; ils nous ont même conservé la description de quelques tableaux de ce genre.
Lucien nous a rapporté le sujet de la calomnie ; et Raphaël a tiré du récit de cet auteur un parti merveilleux. La calomnie était assurément moins susceptible d'image et d'action que la colère d'Achille, qu'Homère nous représente dans son invocation ; mais quand le sujet serait moins heureux, tout acquiert du mérite dans les mains d'un grand artiste, et c'est à des hommes doués de génie que je propose les sujets d'Homère
La colère serait donc représentée pâle ou animée, immobile ou marchante, selon la volonté du peintre ; car la nature l'a peinte elle-même dans ces différentes situations. Mais le feu des passions exige qu'elle soit jeune, et que son action exprime l'emportement et la violence. Selon la peinture d'Homère, elle est environnée de morts, de combattants ; elle doit dominer sur des gouffres dans lesquels elle précipite les rois et les héros ; leurs couronnes et leurs armes serviront à les distinguer. Ces différents groupes, ou cette multitude, doivent produire une composition terrible. Ce détail peint à l'esprit les suites affreuses de la colère ; elle est le sujet de l'Iliade : et quand même cette colère ne fournirait pas autant pour l'exécution, c'est-à-dire, qu'elle ne serait pas aussi convenable à la peinture, je crois qu'on est dans l'obligation de traiter ce tableau. Les vers et les autres agréments de la poésie, peuvent faire oublier quelquefois au lecteur l'objet principal du poète, soit qu'ils élèvent l'esprit, ou que par leur beauté particulière, ils détournent de l'objet. La peinture doit donc profiter dans cette occasion de l'avantage qu'elle a sur la poésie, et donner une leçon frappante et toujours fixe sur les effets d'une passion si funeste. Cependant pour remplir le dessein de suivre exactement Homère, je placerais dans une partie de ce tableau la Muse invoquée, appuyée sur un Cippe, observant la colère, écrivant ses mouvements, enfin occupée à la décrire.
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