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Les Tableaux tirés de l'Iliade

LIVRE I - TABLEAU XII

Ces paroles d'Homère posent les deux figures et composent le tableau ; la scène est dans le ciel. Je n'aurais rien à ajouter, si le choix des attitudes ne me conduisait à quelques réflexions générales. Il est constant que la position de Thétis et Jupiter paraît être critiquée par ceux qu'un goût médiocre renferme dans un cercle d'une très petite étendue, et conduit à la critique de tout ce qui leur paraît éloigné de leurs idées sur les grâces. On pourrait leur dire, avec mille autres choses, que les grâces ne peuvent exister sans la convenance ; mais abandonnant une critique dont je connais l'inutilité, on ne saurait trop répéter, ce me semble, quelques-unes des attitudes données par les grands maîtres ; loin de les éviter, elles doivent au contraire servir de règle. Une conduite si sage et si naturelle, ne peut rencontrer d'autres obstacles que l'opposition des critiques dont je viens de parler : cependant il faut convenir que cette règle à quelques exceptions ; et quoique les attitudes soient dépendantes des sentiments, elles sont quelquefois arbitraires. Mais on ne peut partir d'un point plus solide pour fixer ses idées, que celui des auteurs anciens, c'est à dire, des génies qui nous ont ouvert toutes les portes et frayé tous les chemins. On est convenu de quelques signes de démonstrations, à la vérité, pour des sentiments plus marqués, et qui se rencontrent plus fréquemment dans le cours de la vie ; tels sont les degrés de la prière ou du besoin. On tend les bras ; on lève les yeux au ciel pour invoquer ; on se met à genoux ; on se prosterne pour implorer ; ces attitudes sont reçues. Homère nous indique les expressions d'un sentiment plus léger témoigné par une femme ; pourquoi s'écarter des idées justes de ce grand homme ? Il nous décrit ici comment on demande une grâce, et comment on cherche à séduire pour l'obtenir. Raphaël et Jules Romain, nourris de l'antiquité, ont traité les dieux dans la grande manière d'Homère, c'est ­ à ­dire, avec une élégante simplicité : ces illustres Modernes malheureusement n'ont pas été souvent imités ; et si les peintres avaient à traiter aujourd'hui le sujet dont il s'agit, il est à présumer qu'ils s'écarteraient d'Homère dans la composition de ce groupe ; l'attitude leur paraîtrait trop grossière pour éviter la critique des gens du monde ; ils oublieraient que les grands personnages sont pénétrés des même passions que le peuple, et qu'ils éprouvent des sentiments pareils ; Ils cesseraient de savoir que ce n'est point dans ce genre de situation que l'éducation et les exercices donnent des mouvements nobles, aisés et différents de ceux dont la jeunesse n'a point été cultivée. Ces réflexions peuvent convenir à plusieurs situations sur lesquelles le mauvais goût et les petites idées ne prévalent que trop : après cette digression on sent aisément, sans une grande explication, que je suivrais le trait d'Homère.
Je ne puis finir cet article sans rapporter un passage d'Homère, quoiqu'il n'ait aucune liaison avec le sujet précédent. Après la conversation de la déesse et du dieu, ce grand poète dit : "Jupiter fit un signe de ses noirs sourcils ; les sacrés cheveux furent agités sur la tête immortelle et il ébranlât l'Olympe".
Cette grande idée est impossible à rendre en peinture ; mais un artiste ne peut l'avoir trop présente à l'esprit ; c'est un moyen de croître son ouvrage, et d'exprimer au moins quelque légère partie de la grandeur, qui doit être d'autant plus l'objet de l'art, qu'elle surprend, arrête le spectateur, et le contraint à tenir ses yeux fixes et plus ouverts. Les anciens mêmes nous apprennent que les vers d'Homère, sur le signe de tête que fait Jupiter, ont fourni à Phydias le caractère de son Jupiter olympien, qui a fait l'admiration de l'Antiquité.
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